"Allons-y en vélo": De la Suisse à la Grèce sur les routes EuroVelo, par Brian Roodnick
"Allons-y en vélo", a-t-elle suggéré.
"Attends une seconde, tu te rends compte que c’est presque 2000 km", lui ai-je répondu.
"Oui, mais si on fatigue, on peut toujours prendre un train ou s’arrêter et se reposer pendant quelques jours", a-t-elle rétorqué.
Nous avions prévu de voyager de Suisse jusqu’en Grèce pour rejoindre une ONG qui travaille avec les réfugiés sur l'île de Lesbos. Le camp de réfugiés sur cette île avait brûlé et il y avait un appel urgent pour des enseignants dans le nouveau camp. De plus, nous étions presque en octobre et le froid de l'hiver nordique menaçait déjà de chutes de neige sur les Alpes. Même dans les meilleures conditions météorologiques, je n'oserais pas affronter les Alpes. J'avais pu voir des cyclistes transpirer sur ces routes de montagne étroites et escarpées. Nous n'étions pas vraiment jeunes et fringants, vu que nous sommes tous les deux dans la soixantaine.
"D'accord, mais on prend le train pour Lugano et on roule à partir de là", ai-je dit pour régler la question. Nous avions quelques jours pour préparer nos vélos et nous équiper en prévision du temps humide qui assiège traditionnellement l'Europe à l'automne. Il nous fallait également être prudents et conscients des implications de la pandémie du COVID-19 dans les pays que nous allions traverser.
Grand départ en suisse
L’itinéraire que nous avions prévu nous conduirait de la belle ville suisse de Lugano vers le sud, le long de l'EuroVelo 5 - Via Romea (Francigena). Cette route est nommée d’après l'archevêque de Canterbury, Sigaric le Sérieux, qui a marché de Rome à Londres en 990. Nous allions passer par Milan et Pavie avant de nous diriger vers l'est en descendant le fleuve Pô le long de l'EuroVelo 8 - Véloroute de la Méditerranée, qui continue jusqu'à Athènes. Heureusement, nous n'avons pas eu beaucoup de temps pour réfléchir pleinement aux implications de notre décision précipitée. Bien vite nous nous sommes retrouvés à rouler sous la pluie vers la gare de Bâle, avec des vélos sérieusement surchargés, pour ne pas rater le train suisse - toujours aussi performant - qui nous emmènernait jusqu'à la lointaine Lugano, au-delà de l'impressionnant tunnel du Gothard.
Remplaçant le froid et l'humidité du Nord par la chaleur relative du Sud des Alpes, nous avons quitté Lugano en vélo le long de lacs spectaculaires, en direction du lac de Côme. La Suisse possède de magnifiques pistes cyclables, pour la plupart séparées de la route, et notre dernière journée de vélo en Suisse fut très agréable, les kilomètres s’envolant rapidement.
L'accueil des tempêtes en Italie
À notre insu, nous roulions directement vers le coeur de la tempête Alex. Il semble que la Méditerranée soit soumise à des tempêtes équinoxales, dont certaines se transforment en ce que l'on appelle des Medicanes, qui ont la force d'un ouragan. Nous avons vu les nuages en colère s'accumuler et nous nous sommes demandé si notre nouvel équipement résistant à la pluie allait tenir le coup. Un peu trop vite à notre goût, nous avons commencé à croiser des arbres abattus sur notre chemin et des lacs qui débordaient en plongeant la piste cyclable sous 20 cm d'eau, avec des ruisseaux furieux dévalant les montagnes tout autour de nous. Nous avons continué à nous diriger vers l'abri du B&B que nous avions réservé. Nous avons eu la chance d'arriver dans notre petite chambre sous une pluie battante, et de pouvoir monter nos vélos dans notre chambre. C'était un logement bon marché et presque rien ne fonctionnait, mais il était sec et après une longue et dure journée, nous avons bien dormi.
Le lendemain matin, en préparant nos vélos, nous avons découvert qu'un pneu avait été crevé par des débris qu'Alex avait jetés sur notre chemin. Notre kit de réparation, vieux de dix ans, acheté pour 99 cents quelque part au Canada, s'est heureusement révélé à la hauteur de la tâche et nous avons rapidement rejoint Milan à vélo.
Faire du vélo en Europe est merveilleux parce que tous les quelques kilomètres, il y a un petit village qui comprend un magasin, un restaurant et une boulangerie, ce qui rend inutile le transport de grandes quantités de nourriture. Les habitants de l'Italie et de la Grèce sont également très amicaux. Lorsque nous avons fait une pause devant une fontaine spectaculaire au cœur de Milan, un Italien s'est arrêté et, après avoir constaté, à la vue de nos vélos lourdement chargés, que nous étions des touristes, il s'est lancé dans une explication passionnée de 20 minutes pour nous dire à quel point il aimait sa ville natale, Milan. Nous sommes également passés devant la cathédrale de Milan pour nous souvenir du concert qu'Andrea Bocelli a donné devant elle au faîte du premier confinement en Italie. Il a chanté sur une place vide tandis que plus de 3 millions de personnes assistaient à son concert en ligne, visant à honorer le courage des habitants de la ville. J'ai été encouragé de voir cette même place pleine de gens qui profitaient du soleil. Nous étions loin de nous douter que la deuxième vague de la pandémie était déjà en train de déferler comme une marée invisible et que, quelques jours après notre départ, Milan serait à nouveau en confinement.
La serviabilité italienne
Nous avons pédalé vers le sud jusqu'à Pavie sur le puissant fleuve Pô. Nous suivions alors l'EuroVelo 8 - Véloroute de la Méditerranée. De nombreux personnages historiques ont voyagé le long du Pô, dont Hannibal, César et Napoléon, et surtout notre ami l'archevêque Sigeric le Sérieux. Le Pô est un fleuve impressionnant et puissant, gonflé comme il l'était par la tempête Alex. Certaines des routes, pistes cyclables et quelques parcs en bordure du fleuve étaient inondés par les eaux de crue. Heureusement, la plus grande partie du Pô est protégée par une digue impressionnante de quatre mètres de haut, surmontée d'une route étroite que se partagent les piétons, les cyclistes, les chiens, les véhicules agricoles et toute une série de voitures et de camionnettes. Certains de ces conducteurs semblaient être diplômés de l'auto-école Ben Hurr.
Notre deuxième crevaison nous a valu une merveilleuse démonstration de l'aide italienne. Alors que les cyclistes et les randonneurs se rassemblaient autour de notre vélo handicapé, chacun avait non seulement des conseils et des opinions, mais nous proposait aussi de l’aide pour trouver la meilleure solution à notre problème. Il y eut beaucoup de gesticulation et une certaine commisération, et même des offres de kits de réparation, de pompes à vélo et de collations. Cette crevaison a toutefois nécessité une aide plus professionnelle et nous nous sommes retrouvés au magasin de vélos local où nous avons eu droit à une impressionnante démonstration de la compétence technique italienne, la roue ayant été retirée, réparée et remise en état en quelques minutes seulement. 1000 km plus tard, la roue est toujours en bon état. Nous n'avons pas eu de nouvelle crevaison. Je ne pense pas qu'une roue oserait fuir après avoir vu des mécaniciens italiens au travail.
Lire ici la première partie du parcours de Brian.
Texte et photos : Brian Roodnick